Toutes aux courses |
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Il y a un peu plus d’un siècle les femmes brillaient sur les champs de course par l’élégance de leurs toilettes. Aujourd’hui c’est par leurs compétences professionnelles qu’elles se font remarquer. Etat des lieux d’une féminisation…qui reste prudente.
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Micheline Leurson Pierrette Brès, ici avec Christiane Head-Maarek et Florence Woerth,a ouvert aux femmes la voie du journalistes hippiques Martine Della Roca Fasquelle, fille et femme d'entraineur de trot, oeuvre depuis 1987 pour que dans la filière hippique les épouses aient un statut des conjointes collaborateurs, un travail qui a porté ses fruits en 2002. Brigitte Renk, double vainquer du championnat de France des femmes jockeys. Marion Goetz , jockey driver . Lorène, apprentie jockey Les métiers Elles sont : éleveur, entraîneur, jockey, cavalier d’entraînement, lad, handicapeur, commissaire aux courses, vétérinaire, maréchal-ferrant, dresseur-débourreur, soigneur, étalonnier, garçon de voyage et premier garçon (sic). Mais aussi directrice de la communication, journaliste, chargée de régie... |
De l’ombre à la lumière 1932, Maisons-Laffitte : un steeple-chase et une course de plat sont organisés pour les cavalières. 5 mars 1961, Janine Lefevre gagne à Cagnes-sur-Mer dans la première course officielle PMU/PMH ouvertes aux femmes amateurs (Cavalières). Dans cette course, débute de celle que l’on a appelée « la cavalière du siècle », Micheline Leurson. « Mon père était jockey d’obstacles. Je voulais monter moi aussi mais j’ai dû le faire en cachette de ma mère. Pour aller m’entraîner chez M. Delfarguiel, je lui ai raconté que j’allais au catéchisme ! La première fois que je suis montée en selle c’était donc sur un cheval de course ! » Comme une évidence, avec une détermination hors du commun qui lui fera remporter, de 1961 à 1978 douze Cravaches d’or, auxquelles il faut ajouter les victoires glanées à l’étranger dont deux fois le Collier de perles en Allemagne. Une carrière qui la verra aux côtés de son presque jumeau Yves Saint-Martin et d’un autre surdoué Freddy Head. Mais il faudra attendre 1983 pour que Louis Romanet l’appelle et lui demande si elle accepte de devenir handicapeur. Son premier poste de salariée dans les courses. Et c’est encore elle qui devient la première (un adjectif qui lui « colle à la peau ») femme commissaire de France-Galop. Et la première femme propriétaire dont les couleurs ont débuté dans le Prix du Jockey Club. Et malgré son parcous prestigieux, elle ne peut s’empêcher de remarquer que « le milieu des courses est misogyne. Mais il faut rendre grâce à ceux qui ont compris que les femmes montaient bien. Parmi eux, messieurs Boussac et Romanet, Alec Head, François Boutin, François Mathet. Notre résistance physique est moindre certes, mais nous avons une très bonne main, notamment quand le cheval est dur, et un excellent sens tactique. » Les chef(fe)s d’entreprise Certaines, souvent Cavalières par le passé, sont devenues entraîneurs (on remarquera l’absence de féminin pour désigner la plupart des métiers !). Aux manettes, Christiane Head-Maarek (dite Criquette) n’a pas volé ses galons, quoi qu’en dise ceux qui aiment à signaler que dans le milieu ce serait plus facile quand on est « fils ou fille de ». Elle incarne la quatrième génération d’entraîneur dans sa famille et se souvient qu’on n’ pas vu d’un très bon œil qu’elle prenne sa licence. Plus de 2 000 victoires plus tard, elle est sur les pistes pour les lots de 6 à 12 heures, enchaîne sur les courses l’après-midi, les déplacements liés à sa fonction de présidente des entraîneurs de galop en France et de présidente de la Fédération des entraîneurs européens (ETF). « Aujourd’hui les femmes sont, je pense, reconnues dans toutes les professions. Le milieu des courses n’a pas toujours été tendre avec les femmes mais cette situation me paraît révolue. Nous récoltons le fruit de notre travail. Quand je me bats, c’est pour que les améliorations profitent, à tous hommes et femmes. » Une énergie que partage Marie-Annick Sassier-Dreux, propriétaire, éleveur, elle aussi entraîneur, mais au trot. « Ma famille entraîne des trotteurs depuis des générations. Mais je suis la première femme à être devenue professionnelle. Ma première victoire comme femme jockey eau trot monté, c’était à Vincennes, trois mois avant le décès brutal de mon père, Georges Dreux (entraîneur, ndlr). Avec ma mère nous avons décidé de continuer son œuvre. Dans des conditions très difficiles, notamment parce que nous étions des femmes. Mais que de beaux souvenirs avec Queila Gédé, Verdict Gédé, Insert Gédé, gagnants ou placés du Prix d’Amérique et du Prix de Cornulier ! En 1996 ma mère et moi, nous nous sommes séparées professionnellement. Mais je continue à faire les croisements de ses trente-cinq poulinières. Et j’entraîne mes vingt chevaux avec mes deux collaborateurs. Donc une journée, ça comporte cinq heures de sulky et l’après-midi la gestion de l’écurie. Après 18 heures, je redeviens mère de famille (de trois garçons, ndlr) sauf… si je suis les déplacements de mes chevaux ! » Elle a le sentiment d’avoir ouvert la porte aux autres femmes jockeys. « Mes dix premières années de compétition ont été difficiles, mais les hommes se sont habitués à nous voir, à partager leur espace de travail. Aujourd’hui ils nous acceptent complètement. Le regard sur nous a donc changé mais ce qui reste, et restera sans doute toujours difficile, c’est de concilier notre vie professionnelle et notre vie familiale. Sans le soutien de mon mari, je ne sais pas si j’aurais pu tenir. » Martine de Beauregard, elle, est présidente de la Société des courses de Saumur. Une des très rares femmes (elles sont dix en France) à occuper cette charge bénévole certes mais qui requiert l’organisation et le mental d’un(e) chef d’entreprise. Et là dedans rien qui arrête celle qui a été la première jeune femme à demander (et obtenir) une licence de cavalière en obstacles en mars 1972, encouragée par son entraîneur Henri Gleizes, qui devient ensuite pharmacienne, se marie et a deux enfants. « J’ai repris ma licence en 1985, je suis devenue commissaire aux courses à Saumur et j’ai passé mon permis d’entraîneur pour m’occuper des chevaux de l’élevage familial. Sur l’hippodrome, il y a eu beaucoup de travail à faire : sa remise à niveau, renforcer la sécurité, le confort du public avec une structure fermée, changer les parcours, construire une nouvelle tour pour les commissaires, aménagement d’un vestiaire pour les femmes. Ma position me fait travailler aussi bien avec les bénévoles qu’avec les fédérations régionales et nationales des courses, les collectivités, les entraîneurs, les jockeys. La situation des femmes a évidemment changé dans le milieu des courses. D’abord il y a quarante ans, elles étaient très peu nombreuses et il fallait en faire beaucoup pour être reconnue. Aujourd’hui je pense qu’une fille peut réussir sa vie professionnelle dans les courses avec la reconnaissance qui lui est due. » La globe-trotter Nathalie Belinguier est présidente de la Fegentri, la Fédération internationale des Gentlemen-Riders et Cavalières, et l’un des piliers de l’écurie Dam’s (cf. encadré). Témoin clé donc d’une évolution en marche : « Quand j’ai commencé comme cavalière il y a une vingtaine d’années, il n’y avait pas de vestiaire pour les filles ! On se déshabillait à l’infirmerie ou dans les toilettes. Et puis il y avait l’expression "filles à jockey" qui se passe de commentaire ! En 2000, j’ai été élue vice-présidente du club des Gentlemen-Riders et Cavalières puis, en 2007, présidente de la Fegentri. Vingt-trois pays en sont membres et nous organisons deux championnats du monde (l’un féminin, l’autre masculin, ndlr). Cette position internationale permet d’observer des évolutions très passionnantes concernant les femmes : nous avons organisé la première course de cavalières au Qatar l’année dernière et une course (cavalières toujours) à Istanbul cette année. Dans les deux pays la couverture médiatique a été impressionnante. Très certainement la promotion de la femme passe par le sport. Et du coup, nous y contribuons. En revanche, je dois constater que dans mes déplacements à l’étranger, je rencontre peu de femmes au niveau des instances internationales des courses ! Pour le moment, sans doute ! » La féminisation comme facteur de progrès social L’économie du monde des courses est complexe : quatre ministères de tutelle (agriculture, finances, jeunesse et sports, intérieur), deux sociétés mères (France Galop et le Cheval français), une noria de partenaires institutionnels ou associatifs (Haras nationaux, PMU, Fival, GHN, Afasec, associations d’entraîneurs de trot, d’entraîneurs de galop, de propriétaires…). Sans compter Bruxelles, et les banques pour financer les investissements ! Les femmes qui se sont professionnalisées dans le milieu ont dû apprendre très vite à composer avec tous ces interlocuteurs, en luttant pour se faire reconnaître un vrai statut, alors que bien souvent elles œuvraient depuis longtemps dans l’ombre de leur mari comme gestionnaire, comptable, chargée de communication, sans compter le coup de main aux boxes et la vie de famille. Par ce qu’elle connaissait bien tous les aspects de la situation, comme fille et femme d’entraîneur au trot, Martine Della Rocca-Fasquelle s’est lancée à corps perdu depuis 1987 pour que les différents interlocuteurs se parlent, travaillent ensemble, fassent connaître leurs difficultés et qu’ils soient capables de communiquer. Au fil de ses actions, elle devient interface, lobbyiste, mobilise juristes, fiscalistes, experts-comptables pour une amélioration de la reconnaissance de la filière équine. « La précarité pour les femmes, je sais bien ce que c’est. Je l’ai vécue. Alors militer pour que les épouses deviennent conjointes collaborateurs, comme les femmes d’agriculteurs, avec une vraie protection sociale, c’était une évidence. Jusque-là, en cas de faillite ou de décès du mari, elles se retrouvaient dans des situations humaines épouvantables. Depuis 2002, elles ont cette protection. Je défendais déjà ce droit-là avec mon association Cheval, passion de femmes créée en 2000. Et aujourd’hui je suis fière de partager ces avancées dans le magazine qui porte le même nom. »Elle se souvient aussi qu’à la sortie d’un groupe de travail, un monsieur avait lancé : « Ah, encore une réunion Tupperware ! » Ce à quoi l’une des participantes avaient rétorqué : « Pas de problème, si nous avons la même longévité que ce produit ! » Et qu’il n’y a pas si longtemps encore il a fallu batailler pour que leur nom apparaisse au lieu de celui du mari sur les cartes professionnelles officielles ! Du côté de l’information Tandis que ces femmes-là se faisaient leur nom, d’autres professions se féminisaient. Sur le pré-carré du journalisme, on se souvient de Pierrette Brès apparaissant un jour dans Les coulisses de l’exploit en 1963. En 1965, elle prend une licence cavalière amateur et là voilà botte à botte avec les cracks, munie du tout nouveau micro HF. Elle commente en direct, en sensibilité Et dire que Sa Majesté Léon Zitrone lui a parfois savonné la pente n’est une révélation pour personne. « Aujourd’hui, je suis incapable de dire si j’étais inconsciente ou terriblement obstinée. Mais j’ai aimé ce que je faisais. » Et elle a ouvert la porte à d’autres femmes qui se sont lancées sur d’autres plateaux télé, à la radio, en presse écrite. En presse écrite justement, le chemin n’a pas été facile. Marie-Lise Minfir a passé trente ans à Week-end. « Je me souviens que nous étions nombreuses comme femmes mais à des postes de secrétaires. Mais dans une ambiance bon enfant, avec José Covès, Gabriel de La Falaise. La multiplication des courses, l’arrivée de l’informatique qui a permis d’être au plus près de l’information, la victoire de Darie Boutboul le 1 er avril 1984 dans un tiercé, tout cela a fait évoluer notre situation. Et Mme Brès, bien sûr. » Aujourd’hui, on les retrouve sur Equidia, dans Paris-Turf, Courses hippiques… sans pour autant occuper le poste de rédactrice en chef. Dans quelques années peut-être ? T’as vu le jockey, c’est une femme ! D’autant que sur le terrain, les filles jockeys ont-elles aussi su faire leur trou. à la corde. Janine Lefevre et Micheline Leurson leur ont ouvert la voie. Annie Kutz, Janet Slade et Sylvie de Roualle-Masurel dameront ensuite le pion aux hommes en obstacles. Le 8 novembre 1975, en plat, Isabelle Le Maresquier gagne le Prix de Santeuil, avec Erfourd, devant l’as Lester Piggott. Et nul n’a oublié le coup de tonnerre de la victoire de Darie Boutboul. Mais il faudra attendre 1981 pour que Béatrice Marie obtienne la première licence de jockey professionnel, qu’elle couronnera avec sa superbe victoire à Auteuil en 1988. La voie s’est ouverte aux femmes et s’enchaînent les noms d’Anne-Sophie Madeleine, Nathalie Desoutter, la très douée Nathanaelle Artu, hélas trop tôt disparue, Nathalie Henry, Marion-Agnès Goetz, Brigitte Renk, Christelle Cardenne, Nadège Ouakli, Céline Picard, Karen Beaumard, Céline Herisson de Beauvoir, Bérangère Picart (double vainqueur du championnat de France des femmes jockeys), Delphine Santiago… En plat, elles disposent depuis 2006 d’un circuit qui leur est spécifique pour plus de visibilité, tandis qu’elles courent en courses mixtes. Mais les entraîneurs qui leur font confiance sont rares : André Adèle, Jean-Paul Gallorini, Maurice Zilber, Jean-Claude Rouget, Patrick Monfort, Jean-Jacques Boutin, Yannick Fertillet,en plat/obstacles, Pascal Busson, Didier Habart, Nicolas Catherine, Cédric Herserant, les frères Goetz au trot, ils ne sont pas légion à leur confier leurs cracks alors que , unanimement, les femmes sont considérées comme d’excellentes préparatrices. Mais justement, elles sont trop souvent aujourd’hui encore « confinées » au rôle de jockeys d’entraînement. En raison d’un certain « instinct maternel » et de « intuition féminine » ? Allons, Messieurs, Mesdames les entraîneurs, encore un petit effort dans la dernière ligne droite ! Dominique-Laurence Repessé Nota : que soit ici remercié Guy Thibault et recommandé son dernier ouvrage, paru en 2007, Un autre regard sur les courses. Editions du Castelet
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Hippodrome de Longchamp 1961 - 2008 - De la cravache d'or de Micheline Leurson au championnat de France des femmes jockeys, les mentalités évolent, les femmes jouent des coudes et se font leur place (ici lors de la journée des femmes à Longchamp, en Avril 2008) Brigitte Renk Au centre, Christiane Head, dite Criquette Micheline Leurson Les drôles de Dam’s Elles l’ont dit, elles l’ont fait : la première écurie de femmes, propriétaires associées, a vu le jour cette année. Elles (Dominique-Ades-Hazan, Florence Woerth, Réjane Lacoste, Nathalie Belinguier (photo) et Nicole Séroul) sont femmes d’affaires et passionnées de chevaux. Dans un univers où les propriétaires restent majoritairement masculins, elles sont aujourd’hui trente (le quorum requis) à espérer en voir de toutes les couleurs en satin rose et velours orange. Leurs entraîneurs ? Criquette Head, Eric Libaud et Jonathan Pease.
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