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Alicia au pays des défis
15 mars 2008

photo Eva Michaud

Le palmarès d’Alicia

2007 Championne du monde 50 m brasse à Ghent (Belgique) aux Championnats du monde

Inas-Fid

2006 Championne de France 2006 sur 50 NL, 200 NL et 200 4 nages,

relais 4 x 50 4 nages

Recordwoman de France sur 50 Nl et 200 Nl

2005 3e au relais 4 x 50 4 nages aux Championnats du Monde Inas-Fid

Championne de France et recordwoman de France sur 50 brasse, 50

papillon et 100 brasse

2004 Championne de France 2004 sur 50 brasse

Alicia s’entraîne au Stade Poitevin Natation depuis 2003, dans la structure du CREF Sport adapté Poitou-Charentes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alicia Mandin a été sacrée championne du monde sur 50 m brasse en Belgique cet été. Et pourtant elle ne partira pas à Pékin d’où sont exclus les sportifs handicapés mentaux. Rencontre avec une sportive de haut niveau en or.

Une frimousse lumineuse, encadrée par de jolies boucles blondes un peu détrempées. Alicia vient de finir son entraînement et attend gentiment la fin de l’interview de son entraîneur. Mais proposez-lui un bon repas avec un dessert pas du tout diététique (profiteroles au chocolat !) et la voilà lancée.

« Mes débuts dans une piscine ? Chez mes cousins, dans le Midi. Et je passais mon temps à couler ! Un jour mon père est resté sur le bord et m’a appelée. J’ai flotté comme j’ai pu mais j’ai traversé le bassin. Après j’ai pris des leçons. »

A 10 ans elle est au Club des dauphins de Châtellerault où la repère une ancienne nageuse de haut niveau. Nager, elle aime, vraiment. « Dans l’eau, je me sens bien, chez moi. Comme protégée… » Lorsque la famille ne peut plus suivre, elle part en famille d’accueil et Bertrand Sébire, son actuel entraîneur, prend le relais. « Qu’est-ce que j’avais peur de lui ! Je faisais le tour du bassin pour ne pas passer devant lui. Et puis, quand il donnait les consignes, il parlait si vite que j’en oubliais la moitié. Mais les autres nageurs me les soufflaient. Après la confiance est venue. En fait, c’est un gros nounours (ex-rugbyman, ndlr). Et je suis moins peureuse ! »

Du haut de ses récents 18 ans elle parle d’elle avec drôlerie (« le CAP vendeur, c’est plus dur que les championnats »), des autres avec gentillesse (son entraîneur, ses profs au CFA) et une sacrée lucidité (« ben oui, Laure je l’ai rencontrée. Mais il y tant de monde autour d’elle. C’est plus facile de parler avec Malia Mettela (une des marraines de la Fédération française de sport adapté). Ah oui, j’ai vu le ministre quand il est venu à Poitiers. Enfin, cinq minutes ! »). Ce qui lui a valu après cette visite de devoir travailler quatre heures supplémentaires sur son lieu de travail !

« Je ne peux pas nager 80 kilomètres par semaine. Je suis en alternance au CFA ou chez mon patron. Huit heures par jour. Et je mets une heure et demie pour aller à la piscine. Vivement le permis ! » Et les horaires aménagés des sportifs de haut niveau ? La réponse est fournie par Bertrand Sébire : « Elle n’y a pas droit. Car elle est en sport adapté et même si elle est championne du monde, ce statut ne fonctionne pas encore pour les sportifs à handicap mental. »

C’est dit. Handicap mental, ou pour parler politiquement correct, déficience intellectuelle. Chez elle, il s’agit d’un déficit acquis suite à une forme d’épilepsie mal détectée. L’acquisition du langage est retardée, la lecture et l’écriture un vrai défi. Et puis il lui faut vivre avec les moments où tout s’arrête, d’un seul coup, comme si son cerveau n’envoyait plus d’ordres. « C’était bizarre. Je marchais dans la rue et puis tout à coup je m’arrêtais sans l’avoir décidé. Maintenant j’ai un traitement tous les jours qui fonctionnent bien. » Et pour la scolarité l’Institut médico-éducatif (IME) est là jusqu’à ses 18 ans. « Au CFA, j’ai du mal quand ça va trop vite mais les profs font très attention. Pour la lecture ça va beaucoup mieux. C’est difficile encore d’écrire. Et puis cette année je fais de l’anglais. Pfouh, c’est compliqué. Parfois je ne comprends même pas la prof. »

Elle parle de sa situation avec infiniment d’humour. Mais la gravité est là aussi : « Il y a quelques semaines, après le Championnat de France, j’ai commencé à craquer. Mes parents avaient parlé divorce, les études et le travail c’était vraiment très fatigant. J’avais plus l’énergie d’aller m’entraîner. Après les fêtes, je ne suis pas retournée à la piscine. D’ailleurs j’avais envie de tout arrêter. J’ai craqué en classe, je me suis mise à pleurer. Mes profs ont été très gentils. Chez moi je ne répondais plus au téléphone. » Et son entraîneur en sait quelque chose, lui qui a tant cherché à la joindre et à la convaincre de continuer. « Sur le plan sportif, je me demandais si elle était capable de se maintenir à son plus haut niveau, si elle avait encore la motivation. Mais c’est surtout humainement que je m’inquiétais. Elle est à la fois très forte et vulnérable. Elle a besoin de repères, d’un environnement qui la stimule et qui la rassure aussi. »

La principale intéressée confirme : « Vraiment, c’était le trou noir. Et je n’avais plus la force d’aller à l’entraînement. Du coup j’étais encore plus triste parce que nager, j’adore. L’eau c’est mon élément. J’y suis comme chez moi. Bertrand a appelé. Il n’était pas content mais je crois surtout qu’il était inquiet. J’ai recommencé il y a dix jours. Je suis contente même si pour l’instant je refais mes gammes. »

Et quand on la voit dans sa ligne d’eau, entourée par ses potes nageurs, l’expression « comme un poisson dans l’eau » prend tout son sens. Car le niveau sportif qui est le sien aujourd’hui a une résonance singulière : Alicia repousse les limites qui lui sont imparties par son handicap. Elle a encore plus envie de lire parce qu’elle voyage, encore plus envie d’écrire parce qu’on lui demande des autographes (« Un jour, dans la rue, un monsieur m’a dit qu’il me connaissait. Moi je lui ai dit que je ne le connaissais pas et que je ne voulais pas lui parler. Il voulait juste un autographe ! (fou rire). Bon, j’ai fait ma signature, parce que écrire des mots… » Elle raconte l’anecdote avec tellement de sincérité, encore étonnée. Et puis cette phrase qu’elle ne continue pas, sur les mots à écrire, qui lui échappent encore.

Puisque la séquence émotion est là, profitons-en pour parler de son titre de championne du monde, sous la houlette de la Fédération internationale du sport adapté (Inas-Fid). « Quand on est en déplacement, j’adore visiter aussi. Alors, avant la compet, j’étais partie me promener. Je suis arrivée à la piscine crevée, avec mal aux pieds. J’ai dormi deux heures en chambre d’appel. Quand je regarde la vidéo, je trouve que j’ai nagé comme une vache. Je plonge mal, je n’avance pas et je fais quand même première ! » En voix off, Bertrand Sébire précise : « Elle a nagé relâchée. Et ça lui va bien. » Et la Marseillaise, ça lui a fait quoi ? « Le plus bizarre, le plus fort, c’était les copains devant moi qui la chantaient en me regardant, pour moi. C’est ce qui m’a le plus émue. Et puis il y a la médaille. Elle est belle. Y’en a qui sont drôlement moches ! »

Chassez le naturel… Et puis, elle aime rire, aller en boîte de nuit avec ses copains, patiner, jouer au billard. Elle regarde le catch à la télé, les courses de nascar, adore les films d’action et les histoires d’amour. Une ado, quoi, touchante, avec un cran grand comme ça.

Après les semaines dures, l’envie est revenue. En ligne de mire les Championnats d’Europe cet été. Un autre voyage pour lequel elle voudrait tant s’entraîner davantage. « Deux fois par semaine avec en plus une séance du muscu, c’est pas assez. Enfin, je veux dire que j’aimerais avoir plus de temps pour m’améliorer. Je peux faire mieux, je le sais. »

Il se fait tard et elle se lève le lendemain à 6 heures pour aller… au CFA. Pas question qu’elle rentre seule à son petit appart dont elle est si fière. Nous la déposons devant son immeuble avec la promesse qu’elle fasse signe à la fenêtre qu’elle est bien rentrée. Quelques minutes plus tard, son visage apparaît et elle lance : « A bientôt, à Poitiers ! »

Promis, Alicia, à bientôt !

Dominique-Laurence Repessé

photo Eva Michaud

Le Centre Régional d’Entraînement et de Formation sport adapté Poitou-Charentes (Cref Poitou-Charentes)

Unique en France, ce centre d’entraînement et de formation du sport adapté situé à Vouneuil-sous-Biard (86) donne la possibilité à des sportifs atteints de déficience intellectuelle et ayant choisi le haut niveau de se préparer dans des conditions respectueuses de leur projet et de leur identité. Une planification d’entraînements et un plan de carrière sont donc mis en place pour et avec chaque sportif rejoignant le Cref.

Créé le 1 er février 2007 par le Comité régional du sport adapté du Poitou-Charentes, à l’initiative d’Yves Drapeau, le Cref compte 37 athlètes, pratiquant quatre disciplines individuelles (athlétisme, judo, natation et tennis de table). Ces sportifs de haut niveau ont déjà remporté depuis l’ouverture de la structure 35 titres de champions de France, 10 titres de champions d’Europe et 8 titres de champions du monde. Le centre propose aussi des formations d’éducateurs sportifs ou spécialisés, sert de réseau de détection et de point d’information pour les sportifs, leur famille, les professionnels du sport.

Cref sport adapté Poitou-Charentes, 86580 Vouneuil-sous-Biard. Tél. : 05 49 36 06 43.

 

Les exclus de Pékin

Lors des jeux de Sydney en 2000, l’équipe de basket espagnole a été accusée de fraude pour avoir fait participer des personnes non handicapées mentales bien que présentés comme telle. En réaction à cette affaire, l’assemblée générale du Comité international des paralympiques (CIP) a exclu en 2001 les personnes handicapés mentales de toutes les compétitions du CIP, jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé sur leur participation et les méthodes de contrôle de la réalité du handicap mental. Suite à un recours formé par l’INAS-FID contre la décision du comité exécutif du CIP, les athlètes intellectuellement déficients ont été autorisés à participer à un nombre limité d’activités sportives pour les jeux d’Athènes. Mais l’exclusion de toutes les disciplines a été confirmée en 2006.