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L'apprentie jockey
 

Lorène vient tout juste d’avoir 15 ans. Comme tous les lycéens (ou presque) elle a décroché en fin d’année son brevet des collèges. Mais elle, elle prépare un BEPA ; option Activités hippiques, spécialité cavalier d’entraînement. Depuis un an, elle suit sa scolarité à l’Afasec, sur le site de Chantilly-Gouvieux. Elle nous raconte cette nouvelle vie et ses projets.

La suivre ce lundi n’a pas été chose facile : elle se lève à 5 heures du matin (calculez, même en plein été, il fait encore nuit), en même temps que ses trois camarades de chambre, fonce à la salle de bains, ingurgite son petit déjeuner et part ensuite avec la navette de l’école chez son entraîneur pour commencer à 6 h 30.

« Au début, c’est une des choses les plus difficiles. Pour être debout à cette heure-là, c’est fini les soirées télé. A 21 h 30, nous sommes au lit. Bien sûr, nous pouvons bavarder mais après, pour se lever, dur dur ! Mais une fois à l’écurie, on oublie ça. » Lorène livre des bribes de son parcours la fourche à la main car il faut nettoyer tous les box comme chaque lundi. La journée la plus longue, la plus dure aussi. Et commencer sa semaine comme ça, il faut vraiment le vouloir. M. Lenogue, son entraîneur, veille à ce que toute la paille souillée soit sortie, les nouvelles bottes convenablement réparties pour le confort et la sécurité des locataires. Car ici tout le monde est aux petits soins avec eux. Certains appartiennent à un propriétaire, les autres à M. Lenogue. Ses grandes bestioles valent cher, ont leur caractère et leur fragilité.

«  Ils nous connaissent et nous les connaissons bien. Malgré tout, notamment quand on fait les box, il faut toujours penser qu’ils peuvent avoir peur, botter, nous plaquer au mur. On finit par l’oublier mais le jour où ils nous le rappellent, ça fait mal. »

Entre deux lots de monte, les brouettes de fumier passent. Au cas où nos apprentis se croiraient déjà en haut de l’affiche, voilà un geste qui ramène à plus de modestie. « C’est vrai qu’on attend l’instant de la monte mais ici nous sommes en apprentissage pour tout ce qui concerne l’environnement des chevaux. Et M. Lenogue, il veut que tout soit impeccable. » Emouvant spectacle que de voir nos apprentis si méticuleux, eux qui ont un mal de chien à ranger leurs chambres. «  Bon, mais ce n’est pas pareil. Ici on apprend notre futur métier ! » Avis aux parents !

Quatre montes plus tard sur les pistes sublimes de l’allée des Lions, en compagnie d’autres apprentis et d’autres entraîneurs, non sans avoir continué les aller-retour en brouettes, la navette la ramène à l’école direction le réfectoire. «  Le poids ? Ben oui, on en parle, entre nous et avec nos profs. C’est une contrainte. Et nous les filles nous sommes naturellement plus rondes que les garçons. » Alors, le régime jockey ? « C’est dur de se priver des bonbons, des gâteaux, mais nous bougeons beaucoup. Surtout pendant nos trois semaines chez l’entraîneur. Et même pendant les vacances, faut faire vachement gaffe. Au trot, ils n’ont pas ce problème. »

Après avoir calculé que je serai bien en peine de me lever tous les matins si tôt, de contrôler si strictement mon alimentation, une évidence s’impose : les ados qui sont ici en veulent, vraiment.

Certains sont arrivés ici cavaliers aguerris, d’autres moins. Mais aucun, à l’issue des sélections, ne pouvait envisager qu’il rentrait à ce point dans une vie dédiée au cheval. Et où l’apprenti doit suivre. «  Le passage, c’est l’hiver. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, les chevaux doivent être travaillés et nous devons continuer à apprendre. Les moins motivés craquent. Moi aussi, ça a failli m’arriver. Il fait nuit, froid, on est dehors. On se dit que ceux de notre âge ne vivent pas de façon si dure. La famille se met à manquer. Les départs, c’est là. »

D’autres ont cru que l’école c’était derrière et supportent mal les trois semaines avec matières générales, hippologie et école technique.

Mais comme le précise André Pommier, « il leur faut aussi une tête bien pleine. Et tant pis pour ceux qui ne le comprennent pas. Ils ne resteront pas. »

Pour Lorène aussi, le système classique du lycée était devenu pesant. Les notes s’en ressentaient. Ici elle reprend goût aux études parce qu’elle sait qu’elles vont lui servir pour le métier qu’elle veut faire. Et qu’en tout cas, il ne suffit pas d’être un crack de la monte. « De toute façon, ici j’ai envie que ça se passe bien. Et puis, je suis ultra motivée. »

Et ça c’est absolument évident. Il suffit de voir son application tant dans les soins aux chevaux que dans les lots, son regard pendant les galops, sa complicités avec ses montures. « Au début, qu’est-ce que j’ai eu mal aux jambes. Je venais du dressage, je travaillais avec des étriers plus longs. Et puis, c’est quand même des purs-sangs. Parfois, on se fait embarquer. C’est très impressionnant. J’ai aussi reçu des coups de pied. Mais on dit « Mon cheval, alors qu’il ne sera jamais à nous ! » On s’attache et quand on les voit dans les courses PMU ou les anciens qui montent, forcément, on est très fiers. »

L’avenir ? Elle le voit si possible avec un bac pro ­ CGEA, conduite et gestion d’une exploitation agricole, filière cheval. Pour le . reste, elle en rêve d’être jockey. Mais elle sait déjà qu’il y a peu d’élus, qu’on soit fille ou garçon. Et puis il y a cavalier d’entraînement, 1er garçon, garçon de voyages, assistant entraîneur, entraîneur (et tout ça se dit comment au féminin ?).

Entre-temps, il y aura les courses école, les accompagnements sur les hippodromes, le métier qui rentre, il fera froid, chaud, mais et c’est sûr, elle fera son maximum pour travailler dans ce milieu. Les caps à passer il y en aura, des déceptions, des joies aussi. Les copines d’avant rentrent en seconde générale, encore dans le cocon familial. Alors, des regrets ?

«  Sûrement pas ! Et puis, je crois que mes parents sont fiers de moi. Au début, ils n’étaient pas très chauds ! »

Et comment ne pas y croire puisque, de retour chez son entraîneur en fin d’après-midi, elle me quitte en me disant : «  Désolée, j’ai du travail à faire. » Et dans ces yeux, je lis le plaisir et la fierté.

Bon vent, Lorène ! Et merci.

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